Souvenirs de guerre par Serge THOMAS

À la mi-mai 1940, les divisions allemandes violent la frontière belge et luxembourgeoise et pénètrent en France (du 13 au 15 mai 1940). La mobilisation générale avait été décrétée le premier septembre 1939. Charles MAHIN avait effectué son service actif du 19 octobre 1932 au 19 octobre 1933. Il est rappelé sous les drapeaux le 24 août 1939. Il sera capturé par les Allemands le 20 juin 1940 à METAXEY (Vosges) et sera envoyé en Allemagne dans un camp de prisonniers (Stalag IXC).
Mon père, bien que garde mobile, est également mobilisé et envoyé dans une unité motocycliste dans le Nord de la France. Cette unité reculera vers la Haute Marne devant l'avance allemande. Ma mère (Céline Thomas née MAHIN) est enceinte et sur le point d'accoucher. Se retrouvant seule, à Longuyon (où mon père était garde mobile), elle décide de venir s'installer chez ses parents, Mr et Mme Omer MAHIN, cultivateurs à Brandeville, avec ses deux fils Serge et Guy âgés respectivement de trois ans et demi et de deux ans.
À la ferme, l'absence de Charles (dont ses parents ignorent, pour l'instant, le sort) se fait sentir, car mon grand-père est âgé et fatigué. Il est bien secondé par sa fille Annie, mais le travail est dur pour elle. Ils obtiendront l'aide de soldats du 446 ° R.I. prêtés par l'armée.

Télégramme de mobilisation
La ferme MAHIN bombardée
Cliquer sur l'image pour voir les détails
Le 11 mai 1940, à 6 h 30, une bombe tombe sur la maison, côté grange occasionnant une destruction d'une partie de la façade et de la toiture. Il y aura également des dommages à la maison voisine appartenant à la famille VILLEMIN. Ma mère qui se trouvait dans une chambre à l'étage s'était précipitée à la fenêtre en entendant l'avion arriver. Un éclat important viendra frapper le montant de la fenêtre juste au-dessus de sa tête, ne lui occasionnant aucune blessure, sauf une peur rétroactive. Lors des bombardements, il y aura trois morts : un major et deux soldats et plusieurs blessés. Heureusement, cette bombe n'était pas incendiaire, car il y avait du foin et de la paille dans la grange.
Pourquoi cette attaque sur Brandeville ? C'est une énigme. Dans les jours qui suivent, la cave de la maison fut aménagée en dortoir, mais nous n'y avons couché que quelques jours seulement.
En mai 1940, mes grands-parents eurent à remettre à l'armée française 19 bêtes à cornes (9 vaches, 5 génisses et 3 veaux) sur réquisition alors que leur cheptel se composait de 16 vaches et génisses, 3 veaux et 3 chevaux.
Le 27 mai 1940, ma mère accouchait de deux garçons, aidée par une sage femme de Brandeville (Mme LEHUREAU).
Le 29 mai 1940, l'ordre d'évacuation du village est donné par les Autorités françaises.
Ma mère avait reçu une lettre de mon père qui avait été sous le feu des Allemands du côté de Péronne dans la Somme. N'ayant pas ses coordonnées, il était impossible de l'informer de la naissance des jumeaux. Mon grand-père se rend à Verdun pour rencontrer le sous-préfet et lui expliquer la situation de ma mère. Il promet d'envoyer une ambulance pour emmener ma mère et les deux nouveaux nés à l'hôpital de Verdun.





Ces souvenirs sont extraits, en plus des miens propres, des notes prises, au jour le jour, par mon grand-père Mr Omer MAHIN et par ma tante Annie MAHIN, dans un agenda de l'année 1940.

Annie Mahin vers 1910
Annie Mahin vers 1910
Le premier juin, le véhicule n'est toujours pas arrivé, mon grand-père refuse de partir tant que la situation de sa fille n'est pas réglée. Il relance le sous-préfet.
Enfin le 4 juin, l'ambulance emmène ma mère et mes deux frères à Verdun. Cette nuit-là le canon se fait entendre et la maison tremble. Le 5 juin 1940 à 17 heures, c'est le départ avec un chariot tiré par deux chevaux. Normalement, les autorités avaient prévu que ceux qui ne pourraient partir par leur propres moyens, seraient emmenés à Neufchateau par camion et de là, évacué par train jusqu'en Gironde.
Dans une lettre que mon Grand-père adresse à son fils, mais qui lui sera retourné, il ignorait alors qu'il était prisonnier, il fait état qu'au jardin, il commençait à y avoir de la salade et des légumes, que dans les champs les blés étaient superbes, mais que malheureusement, il n'y aurait pas de moisson… qu'au grenier, il reste 30 à 40 quintaux de blé que l'armée veut prendre, enfin qu'il reste trois vaches et deux gros cochons (130 et 140 kilos) que personne ne veut.
Avant le départ de ma mère à Verdun, mon Grand-père avait rencontré un aumônier à la Montagne, il lui avait demandé de baptiser les jumeaux.
Donc le 5 juin 1940 c'était le début de l'exode qui pour moi, bien jeune, allait devenir une aventure : mon grand-père était un homme très croyant, il écrira à Charles (lettre également non livrée au destinataire) « Nous partons à la volonté du Bon Dieu, il nous a déjà épargné le 11 mai lorsque la bombe est tombée sur notre maison. Je mets toute ma confiance en lui qui est le maître de notre destinée. Que la Providence nous conserve saint et sauf et si mous pouvons nous retrouver tous ensemble, c'est ce que je demande chaque jour.»

Photo supposée de Charles Mahin en 1917
Photo supposée de Charles Mahin en 1917

Le chariot avec lequel nous avons quitté Brandeville, mes grands-parents, Annie, mon frère cadet et moi, était bâché, des matelas étaient disposés à l'arrière avec couvertures et édredons. À l'avant, des sièges étaient disposés sur lesquels prenaient place ma grand-mère, Annie ou mon grand-père qui alternaient pour se reposer ou pour conduire les chevaux. Une vache était attachée à l'arrière du chariot, mon grand-père pensait qu'il serait agréable d'avoir du lait, surtout pour les « petiots ». Pas de surcharge du chariot avec du mobilier comme nous en verrons en cours de route, rien que le strict nécessaire, en particulier quelques vivres. Le premier jour, nous avons monté la « nouvelle route » pour reprendre la route de Dun à Verdun et faire étape à Consenvoye pour la première nuit.
L'itinéraire et les les étapes furent les suivantes :
—6 juin : de Consenvoye à Moulin-Brûlé
—7 juin : de Moulin-Brûlé à Chaumont-sur-Aire
—8 juin : de Chaumont-sur-Aire à Bréhain
— 9 juin : de Bréhain à Resson
Le hasard a voulu qu'à Bresson nous rencontrions Cécile Fallet avec qui se trouvaient ma mère et les deux jumeaux. Ma mère comme je l'ai dit, avait été «hospitalisée» à Verdun le 5 juin avec ses deux jumeaux. Le 7 juin, les autorités évacuaient les malades demandant aux « valides » de quitter Verdun par leurs propres moyens. Heureusement, ma mère avait emporté un landau. Elle a donc « embarqué » Claude et Jacques dans ce dernier, prenant la route, direction le Sud, sans but précis. Elle ignorait où se trouvaient ses parents et ses deux aînés, ainsi que son mari.

Ma mère était quelqu'un qui « n'avait pas froid aux yeux », vaillante et débrouillarde, ne s'apitoyant jamais sur son sort. Pour nourrir les petits, elle trayait des vaches abandonnées dans les prés et leur donnait le lait ainsi tiré, sans être bouilli. Elle les lavait dans les lavoirs ou fontaines. Heureusement, le temps était beau et les deux jeunes étaient vigoureux et « avaient envie de vivre ». Deux jours après avoir quitté Verdun, elle eut la chance de rencontre Cécile FALLET qui avait quitté Brandeville avec un chariot, accompagné de sa mère (Mme JACQUES) et de sa fille Geneviève qui l'a prise en charge avec ses deux enfants. On retrouva également à cette étape mon père qui était dans le secteur avec son unité.
Malgré les circonstances ce furent de belles retrouvailles, mon père faisant la connaissance des jumeaux. Nous passâmes la journée du 9 juin en famille, mon père nous quittant le soir même.
Le 10 juin de Resson à Robert Espagne.
En-cours de route, rencontre avec des gens de Brandeville. Ma mère et les jumeaux étant restés avec Cécile, nous nous retrouvions à chaque étape, essayant de nous suivre, ce qui n'était pas évident compte tenu de l'encombrement des routes par tous ceux qui fuyaient l'avance allemande. Il y avait de tout : chariots, charrettes, voitures à bras, vélos et quelques automobiles sur lesquelles s'entassaient gens et matériels divers. Lorsque nous étions réveillés, Guy et moi, nous nous tenions à l'avant du chariot, étonnés par ce que nous voyons. Je me souviens des animaux (chevaux, vaches…) qui avaient été tués par le mitraillage des avions allemands et qui pourrissaient le long de la route. Quelle odeur ! on se bouchait le nez.
Une nuit nous étions couchés dans une grange (nous n'étions pas les seuls) qui était éclairée par le clocher de l'église qui brûlait.


— le 11 juin de Robert Espagne à Esclaron.
— le 12 juin journée à Eclaron où mon grand-père et Annie ont trouvé du travail pour la journée, d'où quelques finances et victuailles.
— le 13 juin de Eclaron quitté à 21 heures jusqu’à Planrupt.
— le 14 juin de Planrupt (Haute-Marne) à Marson-les-Soularmes (Aube).
— le 15 juin de Marson à Saint-Usage (Aube) par Bar-Sur-Aube.
— le 16 de Saint-Usage à Charry-sur-Seine (Côte d'Or).
— le 17 juin de Charry à Coulmiers-le-Sec
Le 17 juin 1940, Pétain demande l'armistice et déclare à la radio « Il faut cesser les combats ».
Mon grand-père apprenant la nouvelle, considère qu'il est inutile d'aller plus loin et décide de rentrer à Brandeville d'où le chemin inverse en 9 jours pour arriver le 27 juin à la maison.
À Verdun, il a fallu obtenir un laissez-passer. Cécile FALLET, avec ma mère, est rentrée le même jour que nous à Brandeville.


Malgré l'absence qui n'a duré que trois semaines, la maison a été dévalisée, malheureusement pas par les Allemands, mais par les Français et même des gens du village. Ma Tante Anne aura des soupçons sur certaines familles dont elle ne dira jamais le nom. Le lendemain du retour, mon grand-père s'évertua à reconstituer le cheptel en achetant trois vaches à Bréhéville et 2 à Louppy.
Ma mère apprendra que mon père a été fait prisonnier à Saint-Dizier. Elle écrira au sous-préfet pour demander la libération de son mari compte tenu de sa situation familiale et du fait qu'il est gendarme, les autorités allemandes ayant décidé la réouverture des gendarmeries en zone occupée.
N'obtenant pas de réponse, elle se rendra à la Kommandantur à Verdun le 4 août 1940 pour y formuler la même demande. Elle y reçoit une indemnité de 500 francs et la promesse de faire libérer mon père. Il le sera le 10 août 1940.
L'instituteur, Mr MAUCOLIN rentrera à Brandeville le 1er août 1940.
La famille RICHARD rentrera le 20 août 1940.


Charles MAHIN sera interné au Stalag IXC près de IÉNA et recevra des nouvelles de sa famille en novembre 1940. Il s’évadera plusieurs fois, mais sera repris. Il sera interné à DUSSELDORF. Il sera libéré par les Anglais et rejoindra Brandeville le 25 mai 1945 après 5 années de captivité faites de privations, de souffrances physiques et morales. Il reprendra la culture dès son retour.


Carte de 1940    Carte de 1940
Carte envoyée en 1940
Carte de prisonnier      Carte de prisonnier
Carte de prisonnier

Carte envoyée en 1944     Carte envoyée en 1944
Carte envoyée en 1944
Livret d'épagne du prisonnier   Livret d'épagne du prisonnier   Livret d'épagne du prisonnier   Livret d'épagne du prisonnier  
Livret d'épagne du prisonnier
    Prière pour les prisonniers    Prière pour les prisonniers
Prière pour les familles de prisonniers.

Carte de rapatrié.    Carte de rapatrié.
Carte de rapatrié
   Déclaration   Déclaration   Déclaration   Déclaration  
Déclaration de service actif et de captivité
pour indemnisation

 Fiche de démobilisation    Fiche de démobilisation
  Fiche de démobilisation
Documents mis à disposition de site par Serge THOMAS, neveux de Charles MAHIN